Roleplay - L'archer et le Shugenja

Je n'aurais pas mieux dit. Aussi je me propose de vous emmener tous par-delà les brumes du temps.

Cinq années ont passé entre les évènements qui seront relatés dans ce récit et les aventures de la geste de Kuni Osaku.

"L'été tirait à sa fin et pourtant il faisait encore fort chaud dans la région de Kuzanagi. Ce petit village, posté à proximité de la route impériale reliant Shiro Shinjo aux territoires du Lion, était très animé. On fêtait depuis la veille quatre épousailles et les festivités ne se déroulaient pas dans la discrétion : tambours, trompes de bambous, cris d'enfants, chants et éclats de rires résonnaient gaiement dans la vallée.
Au sud du village, à l'opposé de la route impériale, un chemin sinuait entre la bordure de la forêt et les rizières de Kuzanagi. Cet étroit sillon de terre tranchant le flan des collines représentait parfaitement la limite entre l'homme et la nature ; les rizières soigneusement entretenues à gauche et la forêt à droite, au début clairsemée puis rapidement dense, obscure et non sans danger.
A une lieue du village, le long de cette route, on pouvait encore entendre les lointains échos de la fête. Cette incomparable clameur, témoins de la joie de vivre et de l'exubérance des heimins, cédait place à l'apaisant murmure de la nature sitôt pénétré sous la fronde des arbres. C'est là, dans une minuscule clairière, à un jet de pierre du chemin de Kuzanagi, qu'un homme se désaltérait au petit ruisseau.
[…]

" L’homme cessa tout mouvement et resta là, au bord du ruisseau, patiemment accroupi, fronçant les sourcils pour réussir à distinguer ce qui mouvait en amont. La créature semblait à la fois leste et placide ; on aurait dit qu’elle se délassait dans l’eau, comme l’aurait fait un guerrier de retour aux étuves après une rude bataille.
Un court instant, la canopée s’entrouvrit et laissa filtrer un rai de lumière qui éclaira la zone. La surprise de l’homme fut totale. En effet, avoir la chance d’observer en plein jour une loutre géante à quelques mètres de soi n’est pas donné à tout le monde ; mais, quand deux petits loutrons plongèrent dans l’eau pour se joindre au ballet de leur mère, notre samouraï eut la conviction que Teriko, la fortune mineure du Peuple fluvial, bénissait sa journée.

La matinée s’annonçait pourtant difficile. La bénédiction des quatre jeunes couples avait été éprouvante et la nuit de festivité encore plus. Mais à cet instant, une sérénité absolue emplit le cœur et l’âme du shugenja.
Quelques crissements de grillons plus tard, sa béatitude s’interrompit brutalement lorsqu’il s’interrogea sur la provenance des petits soleils flottants qui semblaient être passés devant lui des heures auparavant.
[...]

Il se posa pour réflechir un instant. La nuit avait été longue. Les cérémonies qu'il avait mennées, et le saké généreux des pères enchantés de marier leurs filles avaient embrumé son esprit : il se rappela que les fleurs de camomille sont un don que les villageois portent souvent au petit temple de Teriko, perdu un peu plus haut dans la forêt. Quelques fleurs fraiches enveloppées d'un papier de soie persuadent souvent la fortune d'accorder de bonnes pêches... la loutre malicieuse aura sans doute chipé un paquet sur l'autel, en espérant y trouver quelque pitance pour ses enfants...
La fraicheur des fleurs laissait supposer que l'offrande avait été faîte le matin même. Au regard des animations de la veille le Shugenja sourit en pesant qu'il était bien peu probable que cette offrande aie été faite par un villageois... un voyageur peut-être... un voyageur plutôt matinal...
Ses pensées revirent vers la réalité : Il avait assez traîné et il était temps de prendre la route.
Il se dressa et respira fortement.
Il n'était pas bien grand, et d'un physique des plus banal, mais son visage affichait une fraicheur, une naiveté, et une joie de vivre qui lui attirait souvent la sympathie. Ce qui était toujours un avantage quand on doit voyager.
Il tira ses longs cheuveux de jais en arrière et les laça d'un simple cordon de lin. Ses robes usés furent agitées par la brise... il aimait ce vent...son regard se perdit vers la route sinueuse qui s'éloignait du village. [...]

Il se pencha sur la gauche pour ramasser ses effets mais un mouvement à la surface de l'eau le coupa net dans son élan. L'onde paisible chariait à sa surface une image de terreur, signe de mauvais présage... Avant d'avoir fini son souffle suivant, il compris sa méprise : il ne s'agissait non pas d'une vision prémonitrice offerte par les kamis de l'eau mais d'un reflet ! Celui d'un loup blanc dressé de l'autre côté du ruisseau.
Un mâle solitaire ou pire encore, l'éclaireur qui cherche à faire fuir sa proie pour mieux la rabattre vers le reste de la meute affamée ?
[...]

L'homme fit face à la menace et sans quitter le loup de yeux, chercha de sa main son fidèle bâton de marche.
Le plus calmement possible, il recula d'un pas et interposa timidement le frèle rempart de bois entre lui et l'animal : "Hé bien frère loup, dit-il en proie à une vive émotion, tu m'as supris... Permet moi de te présenter mes plus humbles respects..."
De sa main libre, il hissa doucement son baluchon sur son épaule, puis fixant toujours l'animal il s'adressa à nouveau à lui : "Ce ruisseau est tien. Vois, je te cède ce terrtitoire..."

[...]

L'animal le regardait. Ses yeux fixes semblaient vouloir poser une question muette.
Il allongea son cou et pointa son museau en direction du shugenja. Mais au lieu d'humer l'air comme l'on aurait pû s'y attendre, la bête éternua en produisant un petit son sec et comique.
Alors, lentement, l'animal avança une patte puis l'autre vers le ruisseau. Son attitude circonspecte laissait à penser qu'il se voulait le plus silencieux possible.

Le shugenja regardait la scène avec une décontraction croissante.
L'animal s'abreuvait paisiblement sans se soucier le moins du monde du bipède qui lui faisait face à moins d'un mêtre. A mesure qu'il s'était approché, son pelage était devenu de plus en plus gris argenté : une fourrure épaisse et soyeuse que la brise légère faisait onduler telle des vagues sur un océan de plomb.
Plus le shugenja l'observait, moins l'animal ressemblait à un loup. On aurait plutôt dit... comme un renard, mais à la robe argentée. Non, pas exactement un renard...
Le shugenja se creusait les méninges pour trouver le nom qu'il avait sur le bout de la langue...

Un Chungo !
Un esprit-servant d'Inari, la Fortune mineure du Riz et des Renards.
C'était là une formidable chance d'en voir un. Nombreuses sont les légendes rurales concernant cette créature espiègle mais toujours bienveillante et annonciatrice de bonnes fortunes.
[...]

Le shugenja sourit... de sa propre "mauvaise peur", mais aussi des bénédictions qui s'offraient à lui en cette singulière matinée.
Les animaux, et encore plus les animaux sauvages s'accordaient de sa présence, voire même recherchaient sa compagnie, en témoignait la proximité de la loutre aperçue toute à l'heure...

Mais désormais c'était un Chungo qui venait à lui... totalement rassuré et presque intimidé par la présence du renard esprit, le shugenja s'agenouilla comme pour le saluer.
"Avec humilité, j’approche le Kami Inari dans la prière.
Avec crainte et révérence Je prononce ces mots

Matin et nuit, je vais travailler avec diligence à ma tache
je ne relâcherai pas mes efforts, ni ne négligera aucune chose
Je prie le kami pour qu’il me donne encouragement et appui dans toute difficulté
Accorde-moi que le vent divin apporte la prospérité aux villages que je traverse
Accorde-moi une longue vie, forte et solide
Accorde-moi sécurité vis à vis des kamis malveillants, et accorde que mon foyer ainsi que mon corps soient protégés de toute malveillance
Si je commets une erreur, si je dévie de mon chemin
Je prie le kami de m’aider à corriger mon chemin
Que de nouveau je puisse entendre clairement
Et que de nouveau je puisse être avec un esprit ouvert
Protège-moi dans la nuit
Protège-moi et abrite-moi dans le jour
Accorde-moi le bonheur
Avec crainte et révérence, je prononce humblement ces mots" [...]

Le renard but quelques gorgées, releva la tête puis écouta le monologue du shugenja posément assis sur son arrière train, dans cette posture altière spécifique aux canidés racés.
L’attitude de l’animal était si noble qu’on aurait cru voir un daymïo confortablement assis sur un dais de mousse verte écoutant les suppliques d’un vassal.

Quand l’homme eu fini sa prière, le chungo inclina la tête sur sa droite et fixa les yeux du shugenja. Puis, il eu un bref clignement d’yeux ; comme pour exprimer que la prière du rokugani avait bien été entendue.
Le temps se figea un court instant pour faire durer ce moment de profonde complicité entre les deux êtres.

Soudain, le renard redressa la tête. Son oreille gauche dressée, pivota vers l’arrière tandis que la droite oscillait légèrement, par à-coups. Tous les muscles de son corps se tendirent en un éclair pour se tenir prêt à réagir. Le shugenja, quant à lui, n’avait rien perçu. Mais il ne tarda pas à sentir monter un certain malaise dans la forêt.
Loin sur sa gauche, un piaillement d’alerte sec de « mère loutre » rappela à l’ordre ses deux petits qui glissèrent immédiatement dans l’eau pour gagner la sécurité toute relative du ruisseau.
Tendant l’oreille à l’affût du moindre bruit, le shugenja scrutait les fourrés qui masquaient la vue quelques mètres derrière le chungo, de l’autre côté du ruisseau. Rien. Pas le plus petit mouvement. Pourtant la forêt s’était faite silencieuse, annonciatrice d’un prédateur ou pire encore.

Tout à coup, le renard argenté fit volte face d’un bond spectaculaire qui fit sursauter le shugenja déjà très nerveux. Les puissantes pattes postérieures de l’animal s’étaient détendues, le propulsant en l’air à plus d’un mètre du sol. Sa queue avait alors fait office de balancier pour lui permettre de pivoter dans un mouvement fluide alors qu’il retombait les pattes avant vers le sol. A peine atterri, il ne lui avait pas fallu plus d’un battement de cœur pour disparaître dans les buissons.

Des bruits de pas précipités se firent entendre par-delà les arbustes et une ombre passa de droite à gauche à la poursuite du renard. Le shugenja crut y reconnaître une silhouette humaine, impression confirmée immédiatement par le claquement sec de la corde d’un arc. Un ultime piaillement de douleur se fit instantanément entendre alors que l’ombre continua sa course rapide pour récupérer sa proie.

Une bouffée de rage gonfla le cœur du prêtre. Quel impardonnable individu pouvait bien abattre un chungo ?
[...]

Le Shugenja se rua immédiatement à la suite du chasseur.
Le sang bouillonais dans ses veines. Pris d'un immense vertige, il avait l'impression de ne plus sentir le sol sous ces pieds, et pourtant il courrait bel et bien à la poursuite du tueur.
Il espérait avant tout que le coup porté ne soit pas fatal et qu'il puisse protéger puis porter assistance au Chungo blessé.

[...]

Cela faisait une éternité que le shugenja courait, ou tout du moins lui semblait-il. Son corps ne l’aurait pas fait moins souffrir s’il avait traversé tout l’empire en courant d’une traite. Sa bouche était sèche et ses poumons le brûlaient. Après avoir enjamber le ruisseau d’un bond, il avait foncé tête baissée à travers l’épais taillis de fougères royales, de houx et de ronciers à la recherche de l’assassin. Seule sa vélocité pouvait lui permettre de secourir l’animal mortellement blessé. Malheureusement, cette partie de la forêt était étonnamment dense et la visibilité réduite ; de plus le shugenja n’était pas un traqueur expérimenté et sa colère l’aveuglait, lui faisant perdre toute la retenue nécessaire à une telle poursuite. Aussi, se contentait-il de courir le plus vite possible, tournant de droite et de gauche sans discernement.
Cela faisait déjà trois fois qu’il passait par-dessus la même petite flaque de sang frais sans même la voir mais la quatrième fût la bonne. Il stoppa sa course folle ; ses cuisses et ses mollets lui crièrent alors de cuisants reproches. S’accroupissant au-dessus de la flaque vermeil, le shugenja aperçut enfin les premières traces humaines : une sandale avait glissé sur une plaque de mousse à moins d’un mètre de la tache macabre. La piste remontait ensuite sur la droite, de petites empreintes de pas s’étant imprimées dans la terre meuble. Voilà pourquoi il lui avait fallu autant de temps à retrouver la piste : le braconnier devait courir sur la pointe des pieds et être de petite taille. Une femme peut-être, compte tenu de la finesse de la sandale.

Le cœur cognant puissamment dans sa poitrine, le shugenja s’accorda un instant pour observer la scène, espérant ainsi reprendre son souffle. Le sang était encore très frais et tout bien réfléchi, ça ne faisait pas plus d’une minute ou deux qu’il courait. Le tueur ne pouvait pas être bien loin. Peu à peu, le shugenja commençait à visualiser la tragédie. Le chasseur était arrivé par la droite. A l’endroit de la flaque de sang, on pouvait voir que la terre avait bougé, comme sous l’effet d’un impact. L’animal avait donc été touché en pleine course, s’effondrant au sol sous le choc. Un petit trou dans le sol indiquait que le trait avait traversé la pauvre bête. L’homme était ensuite arrivé en courant et avait dû glisser sur la mousse en ramassant son trophée. Il s’était alors dirigé vers le nord, en direction opposée au ruisseau. Maintenant la piste était flagrante : des gouttelettes rouges indiquant clairement le chemin à suivre. Le shugenja se releva et les suivit.
Après quelques mètres, les gouttes au sol s’étaient mues en une ligne continue de fluide vital, souillant le vert de jade des frondes de fougères. L’assassin avait retiré sa flèche du corps de sa proie.
A mesure que les traces sanguines se firent de plus en plus espacées, le shugenja sut qu’il arriverait trop tard quoiqu’il fasse ; la bête avait perdu trop de sang maintenant. Il était donc inutile de se fatiguer à courir.
Pourtant, le shugenja restait perplexe. Quelque chose l’étonnait… comment un animal aussi gros pouvait-il perdre aussi peu de sang ? Il se retourna et constata qu’à peine 100 pas le séparaient du lieu où l’animal avait été touché, pourtant la blessure semblait avoir déjà fini de s’épancher.
[…]

Des sentiments contradictoires assaillaient et perturbaient le shugenja...
Lui pourtant connaisseurs des monts et forêts, connaisseur des choses de la nature était capable de se perdre dans les fourets !
Se laissait-il aveugler par la situation ? ou la succession d'événements des plus étranges était-elle le fruit d'une sombre magie ?... il était de plus en plus persuadé qu'un sortillège était à l'oeuvre...

il pris une profonde respiration et se rappela les recommandations de son maître. la sérénité regagna ses membres. il respira une seconde fois. sa vue devint plus claire et son ouie plus fine. il respira une troisième fois. il commença à distinguer la voix des esprits du vent dans les arbres et à percevoir les remous des éléments alentours.

Il restait un espoir... si la plaie saignait si peu, c'est peut-être qu'elle n'était pas si importante, ou que l'animal esprit pouvait se régénérer.

tout sens en éveil il repris sa traque, écoutant les signes de la nature et les conseils des esprits familiers

[...]

Ce fut avec prudence que le shugenja suivit la piste. Il était inutile d'effrayer le bourreau, celui-ci pourrait réagir avec hâte et décocher une autre flèche. "Ce n'est pas en se faisant blesser qu'on vient le mieux au secours des autres". Encore une fois, les paroles de son vieux senseï résonnaient dans sa tête.
Progressant à la fois vite et silencieusement, le shugenja finit par capter une odeur de bois brûlé. Un campement ! Au sol, les traces s'étaient arrêtées sur une zone où l'herbe était rase et la terre plus dure.
Lentement, le shugenja pivota sur lui-même pour observer les alentours. Il réfléchissait à sa position par rapport à la route… L'autel de Teriko n'était plus très loin, mais aucune chance que l'assassin soit allé dans cette direction. Par contre, là-bas, à une centaine de mètres vers le nord-ouest, se trouve une vaste clairière qui ferait un bien meilleur endroit pour un bivouac.
[…]

Il contourna calmement la clairière pour se placer sous le vent...
Sans aucun doute, c'est là que le campement se trouvait.
Il se souvint aussi que cet endroit était celui où l'on trouvait de l'herbe à renard, avec laquelle il avait fait de nombreuses décoctions pour soulager les ventres creux des paysans, fragilisés par de mauvaises récoltes.
Pouvant presque sourire de ce paradoxe il s'approcha, sans même essayer de se cacher, laissant les herbes folles glisser sur ses jambes et les feuilles basses caresser son visage dans un doux bruissement...
Il déboucha ainsi dans la clairière, serein, et parcouru l'espace découvert du regard.

[…]

Il repéra immédiatement le minuscule campement sur sa gauche et sourit en pensant qu'il l'aurait aperçu bien plus vite s'il avait choisi de contourner la clairière par l'autre côté. Trois personne étaient là, assises autour d'un petit feu sur lequel semblait rotir un repas frugal.
L'emplacement du campement avait été bien choisi : quelques arbres poussaient isolés dans la clairière et en asséchaient un petit périmètre autour d'eux. L'herbe devait donc y être confortable pour un bivouac nocturne.

Alors qu'il s'approchait, le shugenja pouvait mieux distinguer le trio. Un homme puissament batti surveillait la cuisson tandis que deux femmes se tenaient à l'écart de la fumée. L'une était assise tandis que l'autre lui brossait les cheveux. L'homme était assurément un guerrier car il se leva et se retourna pour faire face au shugenja en un mouvement fluide. Son attitude était confiante mais sans la moindre trace de provocation. Son regard inprénétrable ne laissait filtrer aucune émotion. Le parfait yojimbo !
Il ne prononça aucun mot, ni de bienvenue ni de mise en garde. Il laissa simplement le prêtre s'approcher.
La servante cessa de s'occuper de la chevelure de sa maîtresse pour surveiller le repas, un lapin bien dodu dont la graisse coulait sur les braises en crépitant. L'autre femme termina sa coiffure elle-même avec la grâce et l'élégance des femmes nobles.

Le shugenja s'était approché presque suffisamment pour parler sans hausser la voix quand une flèche vint se planter dans l'arbre qui était juste à sa droite. Il aurait quasiment pu toucher le panache du projectile du bout des doigts s'il tendait le bras. Un second trait vint immédiatement se ficher dans le sol, un mètre à peine devant les pieds du shugenja.
La deuxième flèche venait vraissemblablement du jeune garçon qui se cachait à une dizaine de mêtres de là, derrière un arbre en bordure de forêt. Mais le premier tireur était resté invisible.

Pétrifié par cet accueil insultant, le shugenja resta debout sans bouger ni dire un mot. Sa colère de toute à l'heure avait maintenant cédé place à une froide détermination. Il sentait les éléments tourbillonner autour de lui, pleins d'une douce puissance protectrice.

La femme se leva et fit quelques pas en direction du visiteur, se postant légèrement en retrait à droite de son garde du corps. Elle était dans la fleur de l'âge, sa beauté simple allant de paire avec la sobriété de sa tenue. Un renard bondissant était brodé sur sa poitrine et de minuscules soleil était piqués dans sa chevelure noire. Après s'être approchée, elle jaugea du regard l'homme qui lui faisait face puis d'une voix claire, elle prononça quelques mots.
"Bonjour samouraï. Je suis Naya, femme de Matsuda du clan de la Guèpe. Souhaitez-vous vous joindre à nous pour une légère collation ?"

Le prêtre sourit... un sourire crispé, gêné même...
Il fit un pas sur sa droite et décrocha d'un coup sec la flèche du premier tireur qui meurtrissait l'écorce d'un vénérable châtaigner...

Il pris le trait dans entre ses doigts et se mis à lisser l'empannage.
Son regard parcouru à nouveau la clairière puis s'éleva au dessus des frondaisons vers de lointains sommets ou la neige accrochée au sommet des grands pins réfléchissait le soleil matinal.

Finalement il s'inclina.

"Je suis Yukimori, et bien que j'aurais accepté volontiers votre invitation, une affaire d'une grande tristesse m'oblige la refuser.
Si je viens par ma présence troubler votre campement c'est que je suis à la poursuite d'un animal blessé : un renard argenté d'une grande noblesse, ayant visiblement été la cible d'un chasseur aussi talentueux, que peu ou mal informé... car le Shungo ne fait pas partie des animaux que les kamis nous autorisent à chasser.
je suis sur les traces de ce chasseur et espère pouvoir le rattraper afin de pouvoir porter assistance à la bête blessée, s'il n'est pas trop tard.
Le chasseur a du passer à proximité de votre campement; l'auriez vous aperçu ?"

[…]

Pendant que le shugenja flattait l’empennage de la flèche, un léger sourire apparaissait au coin des lèvres sensuelles de la Dame de la Guêpe, signe d’une silencieuse approbation. Mais lorsque Yukimori prononça les mots « renard argenté », les yeux noisettes de la femme s’écarquillèrent. Et à mesure que le voyageur contait la souffrance du shungo, toute couleur quittait le visage de son interlocutrice.
De son côté, le yojimbo semblait ne plus prêter attention au shugenja et scrutait les bois d’un regard perçant. Aussi, il ne sembla pas se rendre compte du malaise grandissant de sa maîtresse.
Quand le shugenja s’arrêta de parler, les yeux de Naya du clan de la Guêpe s’étaient perdus dans un espace invisible entre elle et Yukimori. Telle une statue de marbre blanc, elle resta là immobile quelques secondes. Le shugenja pouvait sentir combien les éléments de l’Air tourbillonnaient autour d’elle, incontrôlés. On aurait dit qu’ils cherchaient à la soulever du sol et seul un profond lien avec la Terre permettait à la femme de tenir debout. Assurément, elle n’avait pas été initiée à la maîtrise des éléments, pourtant elle aurait pu être un puissant shugenja avec telle connexion avec son environnement.
Soudain la Dame fût prise d’un vertige ; l’espace d’un battement de cœur, ses yeux se révulsèrent, elle perdit l’équilibre et fit une embardée vers l’avant. Le yojimbo, toujours entre elle et le shugenja, tournait le dos à la femme et ne pouvait la voir tomber. La femme de compagnie était accroupie et bien trop loin pour réagir.

Yukimori changea lui aussi de couleur au fur et à mesure que la belle noble était prise de vertige...
Il ne s'attendait pas à cette réaction et ne pu s'empêcher de penser qu'une fois de plus, il avait mis les pieds là où il n'aurait pas du...
Souhaitant porter secours à la femme défaillante, mais impressionné par la stature du yojimbo, il tenta d'attirer timidement l'attention de ce dernier :
"votr.. heu... votre dame semble se sentir mal"
son geste de manche hésitant indiquait la femme vacillante sous les yeux médusés du guerrier.
Voyant Naya prête à sombrer, il joignit le geste à la parôle et s'avanca au delà de la distance imposée par l'étiquette pour tenter de retenir sa chute...

[…]

Le yojimbo ne fit même pas semblant de bouger ni de se rendre compte de quoi que ce soit. On aurait dit qu'il n'avait pas suivi la conversation ou qu'il ne prétait aucune attention aux paroles du le shugenja.
Sa main gauche était toujours posée sur sa taille et rien chez l'homme n'indiquait qu'il s'apprête à dégainer. Il se contentait de scruter les bois ; tout particulièrement la zone où le jeune garçon se cachait tout à l'heure. Pourtant, une certaine tension était visible dans sa posture.

Promptement le shugenja glissa un bras au tour de la fine taille de Naya et de l'autre soutint la tête de la noble afin qu'elle ne ballote pas dans le vide.
Naya était assez légère, mais la prise de Yukimori inconfortable et inéfficace, il serait bien incapable de lui faire parcourir une grande distance.
Tentant de garder son aplomb il esseya de la faire réagir en lui tapotant la joue : "madame ! reprennez vous... "
puis s'adressa plus fortement à la servante hagarde : "de l'eau fraîche vite!"

Tout ceci n'allait pas assez vite, tout au tour de lui était comme au ralenti.

Il fût soudain pris d'une grande inquiétude... ce n'était pas du tout rassurant de savoir des archers cachés dans les arbres... surtout sans être sûr de combien ils sont, ni de ce qu'ils chassent vraiement.
Sans attendre les réactions de son entourage, ni le reveil de Naya, Yukimori chercha du regard un arbris, ou à défaut d'un recoin qu'il pensait moins exposé.

Alors que l'angoisse commençait à naître en lui, Yukimori avait l'impression d'avoir glissé dans une faille du temps où lui seul pouvait bouger. Mais soudain, tout autour de lui reprit son cours : la servante réagit prestemment à son ordre et se hâta d'apporter un peu d'eau, Naya retrouva quelques couleurs et, de son côté, le yojimbo tourna la tête vers le shugenja. A ce moment, Yukimori vit dans le discret hochement de tête du guerrier que celui-ci n'avait rien manqué de ce qui s'était passé et qu'il le remerciait silencieusement de son aide.

Naya recouvra ses esprits et adressa un sourire ambarrassé au shugenja qui la tenait. Avant que la gène ne puisse grandir entre les deux samouraïs, le yojimbo hurla : "Shingen ! Viens ici mon garçon !"
Et le jeune garçon sortit de la lisière.

[...]

Reculant d'un pas en baissant respectueusement la tête, le shugenja repris une distance qu'il jugea respectabe avec dame Naya.

Toujours attentif aux mots de la forêts et symboles de la vive nature environnante, il se concentra néanmoins sur l'approche du jeune archer.

Yukimori cherchait un indice, une touffe de poils argentés, une trace de sang, qui pu identifier l'archer comme étant le chausseur de Shungo.

Ce faisant il s'aperçu que son regard scrutateur devait être particulièrement insistant et peu convenable à celui qu'on se doit de porter sur un étranger.
Il tenta sans grand succès de prendre une allure plus détachée.

[…]

Alors qu'il scurtait le garçonnet en approche, Yukimori vit une ombre bouger loin d'arrière l'archer, à l'abri sous les arbres. Pensant qu'il pouvait s'agir du second tireur, il observa plus attentivement et aperçut une petite tête grise dépassant d'un buisson.
Le chungo sortit de sa cachette mais resta dans l'ombre des arbustes si bien que le shugenja devait être le seul à pouvoir le voir de là où il se tenait. Rien dans l'attitude de l'animal ni dans son déplacement laissait penser qu'il pouvait être blesser. Bien que lointain, son pelage était immaculé. La créature posa son arrière-train puis bailla en étirant sa langue démeusurée. A cet instant, le shugenja eu l'impression que l'esprit-servant d'Inari se moquait de lui car la grimace canine ressemblait à s'y méprendre à un ricanement.
Le chungo referma sa gueule en y laissant pointée un petit bout de langue puis inclina la tête. A nouveau, Yukimori sentit la communion très forte qui passait entre lui et la bête. Puis sans prévenir, aussi vite que la dernière fois, le chungo bondit et caracola dans la forêt par petits bonds.

Assurément, aucune fléche n'avait atteint cette créature fabuleuse.

[...]

Le shugenja fut rempli de joie à la vue de la créature malicieuse et ne pu s'empêcher de sourire.

Il reporta son attention sur les samouraïs au tour de lui, attedant de voir ce qu'allait dire le jeune homme.

[...]