La tournée du Lion (étape 2)

Ikoma Kumagaya & Kitsu Fukui n’empruntent pas le chemin le plus court pour aller jusqu’au Hall des Ancêtres, mais ont choisi de suivre une voie plus appropriée. Leur première véritable étape est Bishamon Seido. Cet immense temple richement décoré, voué à Bishamon, Fortune de la Force, est le plus grand sanctuaire qui lui soit dédié dans tout l’Empire d’Emeraude. Même ceux des puissants guerriers du Clan du Crabe, dont beaucoup adorent Bishamon plus que toute autre fortune, n’arrivent même pas à la moitié de sa taille. Certains trouvent étrange que les Kitsu, ordinairement stoïques et attachés aux traditions, entretiennent un tel temple, mais les membres de cette famille considèrent la guerre comme une activité sainte, et on ne manque jamais de shugenja pour s’occuper du temple et apprendre l’art d’utiliser les kami sur le champ de bataille. Près d'une centaine de shugenja et de prêtres entretiennent les lieux.
En plus de son double rôle en tant que temple et en tant que dojo, le sanctuaire fait également office d’ordinaire de réserve majeur de nourriture et d’autres vives, généralement composés de provisions et de matériaux qu’on ne peut pas stocker dans la ville de Tonfajutsen.

Fukui met en garde Kumagaya, car ici, se trouvent les terrains d'entrainement l’unité d’élite des Matsu, essentiellement composée de samourai-ko, appelée la Fierté du Lion. Les samurais masculins qui veulent poser le pied sur ce terrain d’entrainement doivent accepter un défi pour prouver leur sincérité et leur force au combat.
Puis, elle annonce qu’ils vont rester quelques nuits ici, et qu’elle pourra commencer à répondre à quelques questions.

Le Lion à Trois Pattes n’attend pas longtemps et après avoir été présentés au maître des lieux, le senseï et daimyo Kitsu Hiromasu, et avoir été installé, il commence à poser l’un des questions qui le travaillait depuis leur rencontre.
« Fukui-san, comment arrivez-vous à communiquer avec les esprits des ancêtres ? Etes-vous capables comme on le dit de voyager dans les royaumes spirituels comme Yomi ? Est-ce là que vous avez rencontré Shiryo No Ikoma ? »

Fukui sourit aimablement à Kumagaya :
"Kumagaya-san, sous vos airs sévères se cachent la candeur d'un enfant. Votre question pour moi est équivalente à celle-ci que je vous adresse : Comment faites-vous pour respirer ? Il s'agit d'un don que nos aïeux nous ont transmis et cela est naturel pour nous. Notre esprit est en effet réceptif au monde de Yomi et nous pouvons nous y projeter ou y être aspirer. Cela vous est arrivé... partiellement je pense. Chaque individu a sa sensibilité et sa méthode pour communiquer avec les Ancêtres. Il n'existe pas de méthode universelle. C'est éminement personnel. Nous supposons que, jadis, le sang des Kitsu, fut mélé à votre lignage. Cela expliquerait certaines de vos aptitudes. "

Kumagaya ferme quelques secondes ses yeux comme pour se concentrer, puis prend le temps de la réflexion avant de répondre.
« En effet, au 9e siècle, mon aïeul, Ikoma Akuro, s’est marié avec Kitsu Bameko. Mon père semble croire qu’elle était une descendante directe de Soli Tendo, l’un des Cinq Premiers. Donc oui, comme beaucoup de Lion j’ai du sang Kitsu dans mes veines, même s’il n’est pas forcément aussi pur que le vôtre… »

Fukui fait un signe de la tête, semblant montrer son admiration.
« Votre connaissance de l’histoire de votre famille est impressionnante. Votre père a du vous parler longuement de vos ancêtres, et vous semblez avoir retenu ses leçons de généalogie par cœur. Le respect que vous montrez pour vos ancêtres est l’une des raisons pour laquelle ils veillent sur vous. Plus ils seront dans nos mémoires, plus ils auront d’influence dans Ningen-do, et plus vous vous pourrez entrevoir Yomi. »

Kumagaya, qui n’avait jusqu’à lors pas souvent eu l’occasion de discuter avec un Sodan-Senzo, continue à approfondir sa connaissance des esprits.
« Pour ma part, Shiryo No Ikoma m’apparaît lorsque j’entre en méditation et que j’ai besoin de lui poser une question importante. Parfois, c’est juste une voix dans ma tête, et d'autres fois, il apparaît sous une forme spectrale. Takuni-san, le Lion Perdu, comme l’appelle mon ancêtre, apparaît de temps à autre à ses côtés. Je sais que ce ronin était au service de mon daimyo avant de mourir, juste avant que je me mette également à son service. L’avez-vous déjà rencontré ? Je me demande maintenant si c’est un esprit de Yomi ou de Meido. Puis-je développer cette sensibilité que j’ai avec ces deux esprits, voire même communiquer avec d’autres? Je pensais que les Shiryos pouvaient apparaître à n’importe quel samourai qui s’en montrait digne, et que cela ne nécessitait pas forcément de sang Kitsu...
Vos paroles m’interpellent… »

La shugenja répond conservant son sourire aimable et amusé.
« Encore beaucoup de questions, mais nous avons le temps. Patience jeune novice dans la voie des ancêtres…
Et non, je n’ai pas eu l’honneur d'avoir rencontré cet esprit dont vous me parlez. Il doit être lié à vous d’une certaine manière. S’il est mort il y a peu, il est probable qu’il soit encore en Meido, le royaume de l’attente. Peut-être devez-vous l’aider à accomplir son karma pour qu’il puisse rejoindre Yomi. »Le bushi acquiesce pour confirmer, mais laisse la parole à son interlocutrice.
« Dans ce cas, vos aptitudes vont encore plus loin que ce que nous pensions. Meido est dangereux, même pour nous. Nous ne nous y aventurons que lorsque l’enjeu est important. Yomi est notre royaume de prédilection, même si certains de mes congénères aiment les voyages dans d'autres royaumes spirituels plus risqués. »

Kumagaya acquiesce encore, semblant boire les paroles de la Sodan-Senzo.
« Il y a peu, un de nos puissants ennemis a ouvert devant nous un portail vers Jigoku afin de nous y envoyer. Je ne pense pas que cela soit lié à la magie Kitsu, mais plutôt lié à la magie du sang. Mais pouvez-vous vous-même ouvrir un portail vers Yomi ou pouvez-vous seulement vous y projeter ? »

Fukui semble intriguée voire contrariée par cette dernière question.
« Même si nous pouvions ouvrir un portail, pourquoi le ferais-je ? Cela irait à l’encontre de l’ordre Céleste et l’ordre des choses. En tout cas, vos ennemis sont vraiment puissants et dangereux Kumagaya-san. »

Kumagaya continue sur sa lancée.
« Et si je désirais entrer en contact avec un esprit en particulier, ne pourriez-vous pas m’ouvrir un passage pour que je vous accompagne en Yomi et que je rencontre l’esprit désiré? Si vous êtes capable de vous rendre dans les royaumes spirituels, pourquoi est-ce défier l’ordre céleste que d’y emmener quelqu’un avec vous si vous le jugez digne ? J’aurais beaucoup aimé parler à Akodo Arasou-sama afin de m’aider à convaincre Tsuko-sama… »

Fukui hoche la tête, semblant comprendre la démarche du bushi, puis sourit d’un air navré.
« Qui suis-je pour vous juger digne de vous rendre en Yomi en toute impunité ? Nous même, nous nous y rendons qu’avec parcimonie et après de nombreuses prières afin de nous purifier et de nous faire accepter par les Shiryos. Nous n’abusons pas de ce don extraordinaire qui nous a été accordé. Je vous l’ai dit, le respect de tout cela est primordial.
Et de toute façon, il est difficile et dangereux d’entrer en contact avec Arasou-sama, car il est en Meido. Dangereux pour l’esprit mais aussi pour le Sodan-Senzo. Il faut attendre qu’Emma-O ai décidé si Arasou-sama doit se réincarner ou s'il accède à un autre royaume comme Yomi par exemple. Comme il est fort probable qu’Arasou-sama n'ai pas accompli son karma, il sera probablement réincarné… »

Les royaumes spirituels et leurs habitants resteront leur principal sujet de conversation durant les jours qui suivirent, même après avoir quitté Bishamon Seido. La samourai-ko semble vouloir à la fois en apprendre plus sur la manière dont Kumagaya arrive à communiquer avec les esprits, mais aussi tenter de « l’éduquer » sur ce sujet.

Après avoir eu le privilège d’avoir été béni par le grand prêtre du sanctuaire de la Fortune de la Force, Kumagaya se met en route vers sa prochaine destination, la demeure familiale.