Nouvelle - La trame du destin

Assis en tailleur dans l'une des salles de méditation du temple dédié à Amaterasu, je concentre toute mon attention sur ma respiration. La voie de l'excellence passe également par une bonne respiration. Le temps passe, empli d'inspirations et d'expirations. Petit à petit, je laisse mes problèmes et mes griefs refaire surface au premier plan de mes pensées, sans pour autant ouvrir les yeux…
Le destin est vraiment moqueur et imprévisible. C'est en accomplissant mon devoir envers l'Empire et mon magistrat d'Emeraude que j'ai failli à l'obligation de tout père honorable d'assurer la protection de sa descendance. J'avais cru que Ryoko Owari aurait oublié jusqu'au souvenir de ma fille et ne reconnaîtrait pas dans les traits d'une jeune fille ceux de l'enfant de trois ans qu'elle était il y a à peine 6 mois. Je pensais qu'une auberge ayant déjà subi l'assaut des forces de l'Outremonde aurait vu sa protection suffisamment renforcée et ne serait pas le théâtre d'une nouvelle attaque. Je mesure aujourd'hui l'ampleur de l'erreur que j'ai commise en ramenant ma protégée dans cette maudite ville. Le seigneur Lune m'avait pourtant averti à sa manière en m'envoyant des mauvais songes concernant le futur d'Imoko. Songes que je n'ai pas su interpréter convenablement et dont j'ai vainement essayé de me débarrasser. Mais comment combattre un ennemi inconnu et invisible, si pleutre qu'il attaque dans l'ombre et qu'il ne laisse que des morts comme témoins de son passage? Comment remonter une piste inexistante dans une ville remplie de fourbes et d'hypocrites? Ma quête est-elle donc vaine avant même d'avoir pu débuter? Ne suis-je destiné à revoir Imoko que sur un champs de bataille, pervertie ou séduite par les forces ennemies?
Quand bien même cela se réaliserait, il n'y aura qu'un seul responsable: moi. C'est donc à moi qu'il revient de réparer mes fautes, dans mon sang ou dans celui d'Imoko, s'il s'avère qu'une rédemption n'est pas envisageable.
Imoko… Les six mois qui se sont écoulés depuis ma deuxième naissance, je les ai passés en permanence avec elle. C'est la seule personne qui ait posé sur moi des yeux innocents et non emprunts de la pitié des autres yorikis et de mon magistrat. Durant cette période, je crois avoir autant appris qu'elle à travers les enseignements que je lui donnais. Comme l'on dit, enseigner, c'est apprendre deux fois. Je ne puis manquer de faire le rapprochement entre l'étendue de ce que j'ai perdu et la croissance anormalement rapide de la fillette. Comme si les Fortunes avaient décidé de donner à la fille ce que le père avait perdu. Oui; il y a indéniablement un peu de mon âme dans Mirumoto Imoko, même si nous ne partageons pas vraiment le même sang. La valeur de l'être perdu n'en rend que plus cruelle sa disparition… Je laisse la colère monter lentement en moi, crisper un à un tous les muscles de mon corps, pour finalement la laisser passer au travers de moi.
J'ouvre les yeux. Ma main valide prend délicatement la plume posée à ma droite et la plonge dans l'encre noire. Les mots que je pose sur le parchemin qui me fait face ne m'appartiennent déjà plus.