J+3 : Au petit jour

Au petit jour, alors que la forteresse du seigneur Nakimo commence à s’animer, un samouraï se dirige tranquillement vers le calme relatif d’une petite cour intérieure. Son pas est souple de si bon matin mais une certaine langueur se traduit dans ses mouvements. On dirait qu’il flotte sur le dallage. Pas la moindre courbature, pas la moindre raideur ; personne ne pourrait voir, en le regardant aujourd’hui, que cet homme a lutté au péril de sa vie la veille dans des conditions particulièrement difficiles.
Le patio n’est pas très vaste ; tout au plus une vingtaine de pas de côté. En kimono gris, légèrement élimé aux genoux à force de méditation, le bushi vient se placer au centre de la cour. L’endroit est désert. Les coursives ouvertes qui longent l’atrium ne mènent qu’à un petit jardiné encore très sombre à cette heure ou bien à un dojo réservé aux jeunes. Ces derniers n’étant sûrement pas encore sortis du lit, aucune chahut ni claquement de sandales ne viendra perturber le guerrier.
A genouillé, son daïsho posé devant lui, il effectue une longue prière à ses ancêtres. Puis, se relevant, replace ses armes à la taille, réajuste son obi, son kimono. Trace un cercle invisible avec la jambe droite, un second avec la gauche et salue. Qui, ou quoi ? Personne à part lui ne le saura jamais. Alors seulement, il laisse brûler le feu qui vit en lui.
Impossible de décrire avec de simples mots la beauté et la complexité du kata exécuté. Une virevoltante succession d’esquives et de frappes annihilant des hordes entières d’ennemis. En quelques mots, La Danse du Dragon.
L’exercice s’arrête dans une dernière attaque portée de taille, et la magie de l’instant s’évanoui soudain. Le samouraï rengaine son daïsho avec une aisance que seuls possèdent les bushis des hautes montagnes nord de l’Empire. Mirumoto Shiryu ouvre les yeux et, sans même se retourner s’adresse à celui qui l’a observé depuis le début.
"Est-il déjà l'heure de ta leçon, Shingen-san ?"
En effet, perché sur la rambarde d'une coursive suspendue reliant le premier étage des deux bâtiments voisins, tel un vautour attendant la mort de sa proie agonisante, le jeune archer du clan de la Guêpe n'a pas perdu une miette du spectacle. D'un bond il rejoint le sol. L'atterrissage lui provoque, plus qu'une grimace, un froncement de nez.
"Non, senseï. Je suis désolé si j'ai perturbé vos échauffements matinaux. De plus, je crains que mes blessures ne me fassent encore trop souffrir pour suivre votre entrainement de façon honorable." Shingen marque alors une courte pause, attendant une remarque réprobatrice de son mentor. Mais celui-ci reste aussi silencieux et énigmatique qu'à son habitude. "A ce propos, Mirumoto Shiryu-sama, je souhaiterai vous présenter mes excuses. J'ai manqué d'habileté hier lors de l'assaut et je n'ai pas su tenir mon rang auprès des vôtres. Puissiez-vous me pardonner de mes faiblesses face aux horreurs rencontrées dans les murs de la citadelle volante !"

Shingen a écrit:

Shingen marque alors une courte pause, attendant une remarque réprobatrice de son mentor. Mais celui-ci reste aussi silencieux et énigmatique qu'à son habitude. "A ce propos, Mirumoto Shiryu-sama, je souhaiterai vous présenter mes excuses. J'ai manqué d'habileté hier lors de l'assaut et je n'ai pas su tenir mon rang auprès des vôtres. Puissiez-vous me pardonner de mes faiblesses face aux horreurs rencontrées dans les murs de la citadelle volante !"

Shiryu lève enfin les yeux vers son assidu élève et étudie minutieusement sa posture avant de répondre :

" La place d'un archer, fut-il éclaireur, est difficile à trouver au sein d'un groupe type commando tel qu'il était composé hier. Compte tenu des circonstances et des ennemis rencontrés, j'estime que vous vous en êtes plutôt bien sorti Shingen-san. Je n'ai rien à vous pardonner. Votre démarche de contrition n'est à mes yeux que le reflet de votre volonté de continuer à vous parfaire et je ne peux qu'abonder en votre sens. Peut-être vous sentez-vous moins performant que nos autres collègues bushi, mais ce n'est qu'une illusion. Laissez-moi vous conter une anecdote: "

S'interrompant, Shiryu fronce légèrement les sourcils, comme s'il faisait un réel effort de mémoire...

" Voici l'histoire d'un jeune bushi, plein de morgue et sûr de son talent, qu'il avait déjà éprouvé dans un prestigieux tournoi. Il fut envoyé sur le Mur des Crabes pour s'aguerrir. A sa première sortie dans l'Outremonde, ce jeune prodige voulut agir en solo. Sa récompense fut d'être pris pour cible par un gobelin qui le défigura avec le plus simple des cailloux. Il prit la fuite. Un peu plus tard, cet impétueux bushi voulut redorer son blason en se frottant à un puissant Oni au corps de scorpion géant. Oh certes, il réussit à blesser la créature maléfique, mais il faillit en retour perdre son bras gauche. Il ne dut son salut qu'à la prodigieuse médecine du daïmyo de la famille Kuni...."

Comme pris d'une soudaine lassitude, Shiryu étire ses deux bras vers le ciel, faisant glisser par la-même les manches de son kimono, et découvrant l'impressionnante cicatrice qui entoure son bras gauche. Souriant à Shingen d'un sourire mettant en évidence l'incisive qui lui manque, Shiryu reprend :

" Au regard de cette histoire, vous admettrez que votre première confrontation avec les forces de Fu Leng s'est plutôt bien déroulée, Shingen-san..."

Les traits raffinés du visage du jeune Shingen se détendent sous l'effet du soulagement. Un léger sourire au coin des lèvres, l'élève plonge ses yeux émeraudes dans ceux de son mentor.
"Il est plaisant de voir combien senseï et disciple se comprennent si bien... Et à si peu de mots.
Toutefois, Senseï, je vous dois la vérité : il ne s'agissait nullement de ma première confrontation avec les hordes sans nom du Maudit. Certes aucune de mes expéditions par delà les frontières de l'Empire ne m'a conduit à affronter pareils opposants."

Shiryu opine lentement de la tête :

" Ce n'était qu'une supposition erronée de ma part. Depuis notre rencontre, les événements se sont enchaînés d'une telle manière que nous n'avons eu que peu l'occasion de faire plus ample connaissance. Je le regrette mais c'est ainsi. Les jours prochains nous permettront je l'espère de combler cette lacune..."

Shingen a un sourire plat, sans chaleur.
"Je crois effectivement que les prochains jours seront surtout rempli par l'ennui. Après tout ce que nous venons de vivre, un voyage en bateau va me sembler bien morne. Au moins aurais-je du temps pour suivre votre enseignement, senseï. Et aussi, je l'espère pour discuter. D'ailleurs, un ami de mes parents avait coutume de dire que les longues traversée en mer rapprochent les hommes. Quoique, je me suis toujours demandé si le sourire narquois qu'il affichait quand il me disait ça ne cachait pas quelque chose d'autre. En tout cas, mes parents n'aimaient pas trop me savoir seul avec lui ; peut-être avaient-ils seulement peur qu'il ne me pousse à m'engager dans la marine."

Shiryu écoute les anecdotes maritimes de Shingen, puis répond :

Peut-être en effet. Je n'ai jamais ressenti d'attirance envers la mer. Je ne l'avais même jamais vue avant mon gempukku et mon seul voyage en bateau s'est terminé en naufrage... Mais vous avez raison, les voyages en mer sont propices aux entraînements. J'aimerais d'ailleurs si vous le voulez bien que nous échangions nos rôles à cette occasion et que vous m'aidiez à parfaire ma pratique du Kyujutsu. Ne vous inquiétez pas, je sais me montrer humble et j'apprends vite.

"Ce serait un véritable honneur pour moi que de vous aider à suivre le Kyudo. Par contre, vous avez raison, il faut souvent savoir être humble pour arpenter cette voie car bon nombre de samouraïs la trouve moins noble que l'art du sabre." Shingen affiche un large sourire et dit : "Mais c'est vrai qu'il faut être habile de ses deux bras !" Shingen suspend sa phrase pour laisser peser le sous-entendu. "Et de ce côté-là, un bushi tel que vous, sensei, n'a pas de soucis à se faire. Vous excellerez bientôt, je vous l'assure."

Shiryu a écrit:

Vous me flattez, Shingen-san. J'ai quelques bases apprises dans les plaines Mirumoto, mais je ne pratique que trop peu votre art. Mais je tiens à ce que vous sachiez que le lion n'a pas toujours eu que 3 pattes. Il était même plutôt bon archer avant son duel avec Matsu Tsuko. Grâce à son sacrifice, les armées du Lion sont intervenues dans la Bataille de l'Arbre de Vie. Sans elles nous n'aurions peut-être pas remporté la victoire et je ne serai sans doute pas là pour discuter avec vous.

Shingen s'incline profondément.
"Veuillez excuser mes propos, Senseï. Je ne voulais pas vous blesser. Vous estimez assurément Ikoma Kumagaya et cela me réchauffe le coeur. Il ne peut en être autrement entre membres de la même équipe. Vous avez dû vivre de terribles choses qui vous ont rapproché mais... Si le Lion n'a pas toujours eu trois pattes, il n'en avance pas moins à travers l'Empire avec les mêmes oeillères qu'un bouc derrière une chèvre en chaleur." Shingen se redresse après cette cinglante remarque mais continue en adoucissant sa voix. "Je tiens à vous rassurer, Senseï. Je n'ai rien contre votre compagnon. D'autant que c'est lui qui m'a proposé de rejoindre votre groupe. Il semble être un homme juste qui cherche avant tout à faire le bien. Mais il ne peut que voir avec les yeux qu'on lui a donné. Vous devez savoir aussi bien que moi que tout ce qui s'éloigne du chemin est forcément mauvais pour ces gens-là." Shingen cherche dans le regard de son mentor un soupçon d'acquiessement. "Même s'ils sont de vaillants combattants et de précieux compagnons, ceux qui dispensent trop vite jugement et sentence n'en restent pas moins de dangereux alliés."
Shingen lève les yeux au ciel et sourit largement. "J'ai l'impression que je parle trop."

Shiryu sourit :

" Ne vous inquiétez pas, tant que vous ne remettez en cause mes compétences en Kenjutsu et que vous ne me provoquez pas délibérément, vous pouvez parler librement devant moi Shingen-san. J'ai autrefois partagé votre vision des choses concernant les samurai suivant avec trop de zèle la voie du bushido. Pire même, je les méprisais. Pourtant aujourd'hui, j'ai décidé que Kumagaya serait celui qui dirigerait ce groupe jusqu'à ce que nous soyons rétablis dans notre condition de magistrats d'Emeraude. Je pressens votre étonnement, laissez-moi vous expliquer : Notre groupe aura besoin de respectabilité et d'irréprochabilité à son retour sur le continent et c'est assurément Kumagaya qui l'incarne le mieux. De plus, n'aurons pas à craindre qu'il ne nous ordonne d'agir malhonnêtement. Alors, certes cela risque d'être un peu moins drôle quelques temps, mais je pense que c'est le mieux pour la réussite de notre quête. De plus, les yorikis n'ont aucune obligation de dévoiler à leur chef tout ce qu'ils font quand il a le dos tourné... " finit le Dragon avec un air malicieux inhabituel sur son visage.

Shiryu a écrit:

Shiryu sourit :

" Ne vous inquiétez pas, tant que vous ne remettez en cause mes compétences en Kenjutsu et que vous ne me provoquez pas délibérément, vous pouvez parler librement devant moi Shingen-san. J'ai autrefois partagé votre vision des choses concernant les samurai suivant avec trop de zèle la voie du bushido. Pire même, je les méprisais. Pourtant aujourd'hui, j'ai décidé que Kumagaya serait celui qui dirigerait ce groupe jusqu'à ce que nous soyons rétablis dans notre condition de magistrats d'Emeraude. Je pressens votre étonnement, laissez-moi vous expliquer : Notre groupe aura besoin de respectabilité et d'irréprochabilité à son retour sur le continent et c'est assurément Kumagaya qui l'incarne le mieux. De plus, n'aurons pas à craindre qu'il ne nous ordonne d'agir malhonnêtement. Alors, certes cela risque d'être un peu moins drôle quelques temps, mais je pense que c'est le mieux pour la réussite de notre quête. De plus, les yorikis n'ont aucune obligation de dévoiler à leur chef tout ce qu'ils font quand il a le dos tourné... " finit le Dragon avec un air malicieux inhabituel sur son visage.

Shingen se fend d'un sourire carnassier. A ce moment, un premier rayon de soleil vient éclairer la face du jeune homme ; son visage prend alors un aspect étrange : les dents étincellantes dans la lumière matinale, les yeux verts émeraude, les ombres dansantes...
Avant que Shiryu ne puisse mettre le doigt sur ce qu'il y avait d'inhabituel dans le visage de son éleve, Shingen s'incline et dit :
"Il en sera fait selon vos désirs, senseï. Si vous me le demandez, je suivrais le guide que vous aurez désigné. Après tout, Ikoma Kumagaya saura sûrement m'enseigner des choses très utiles pour suivre votre groupe. Le Lion peut être un excellent professeur s'il s'en donne la peine."
Alors que ses mots flottent encore dans l'air, Shingen passe la main au-dessus son épaule droite et dégaine son wakizashi d'un geste circulaire fluide. Puis, se rapprochant de Shiryu, l'archer prend position face à son mentor après un très court kata.
L'oeil acéré du maître reconnait immédiatement la posture du jeune Shingen. Aucun doute possible. Pour y avoir mainte fois fait face à l'entrainement, Shiryu sait reconnaître la garde défensive de base de l'école Akodo. De plus, sa maîtrise du sabre donne la certitude au Dragon que son élève n'est pas simplement en train de singer Kumagaya. Non. La posture n'est parfaite, certes, mais la technique de Shingen est loin de l'être. Pourtant, nul doute que le Lion-à-trois-pattes lui-même ne devait pas faire mieux dans ses toutes jeunes années.
Le plus surprenant est que, malgrè avoir pratiqué quelques passes d'armes au cours de leurs précédentes leçons, Shingen n'a jamais adopté une telle posture ; ni même la moindre similitude de style de combat que les hommes du Lion.

Shiryu, après un léger haussement de sourcil de surprise, étudie minutieusement la posture de Shingen, allant jusqu'à faire le tour du jeune archer, tatant ici la fermeté du bras droit, là la flexibilité de sa hanche.

De nouveau face à lui, il lui déclare :

" Je crois que c'est la première fois que je vois quelqu'un ayant emprunté la Voie du Lion le faire avec un wakizashi. Cependant ces bases semblent solides. Vous auriez tort de refouler un tel acquis, mais j'imagine que vous avez vos raisons. J'avais les miennes également pour refuser d'utiliser le tatouage dont j'ai hérité de ma formation interrompue au sein des moines Togashi. Et pourtant c'est ce même tatouage qui est à la base de la plus puissante de mes techniques. Je vous incite à réfléchir à cela..."

"C'est tout vu, senseï. Entre la mort et la vie, moi j'ai choisi la vie. Tout comme l'avait fait avant moi le seigneur Tsuruchi, mon daïmyo.
Je me devais de vous montrer cela car il n'est pas bon qu'un élève cache ses talents. Si tant est qu'on puisse appelé talents les maigres choses que je connaisse en kenjutsu. Aujourd'hui, à cette heure et en cet endroit reculé, pas d'yeux indiscrets. Je pouvais donc mettre bas le masque.
Mais... Je voulais vous dire surtout que... cela fait du bien d'être compris. Vous m'accueillez simplement, et sans jugement. A chaque fois que je me dévoile, vous me mettez à l'aise avec des mots simples en vous dévoilant à moi en retour. Je sais aujourd'hui que j'ai fait le bon choix en m'adressant à vous."
Shingen s'incline à plusieurs reprises pendant qu'il remercie Shiryu. Puis, un sourire grandissant à ses lèvres, il termine les yeux rieurs.
"Je tacherai donc de ne pas trop vous faire souffrir durant votre initiation au véritable Kyudo. Parce que, de vous à moi, sincérement ! Vous avez vraiment cru pouvoir faire mieux que moi lors de notre simulacre de tournoi sur le pont du navire, l'autre jour quand je vous ai proposé mes services."
Avant que Shiryu ne puisse réagir (impétueusement je veux dire), Shingen éclate de rire et s'incline en profond signe de respect.
"J'aurais dû m'en douter. Ce fut très courtois de votre part, senseï, que de me laisser briller, moi jeune bushi, devant un groupe de yorikis d'émeraude chevronnés tel que vous." S'inclinant à nouveau, Shingen dit d'une voix vribrante d'émotions "Merci, Mirumoto-sama !"

Shiryu s'incline à son tour devant Shingen :

" Merci, Shingen-san. Enseigner, c'est apprendre deux fois. "

Sur ces énigmatiques paroles, Shiryu commence à marcher lentement pour sortir du patio. Visiblement, la leçon semble terminée. Il jette néanmoins un furtif coup d'oeil pour voir si Shingen l'accompagne.

Shingen emboite le pas à son maître d'arme. Mais sur le chemin les menant à leurs appartements, le jeune samouraï du clan de la Guêpe s'arrête.
"Je vous rejoindrai plus tard, senseï. Je dois me rendre auprès de la confrérie des fils d'Osano Wo. Et le plus tôt sera le mieux."
Sur ces mots, Shingen part en trotinnant.